Duportail ou le génie de Washington

par Serge Le Pottier
 
 
 

Le Colonel Serge Le Pottier choisit à Saint-Cyr de servir dans le Génie. Après l’Algérie et des études d’ingénieur, ses activités se partageront entre temps de troupe ou de commandement obligatoires et des activités d’enseignement, techniques ou d’état-major. Affecté aux Etats-Unis comme officier de liaison auprès du « Corps of Engineers » et de l’Académie militaire de West Point, il découvre le rôle capital joué par le Génie français, et plus particulièrement par le Général Duportail, pour l’indépendance du pays.

 Présentation du livre
A l’occasion de mes études secondaires, je ne me souviens pas avoir entendu mon professeur d’histoire évoquer la guerre d’indépendance des Etats-Unis, qui devait pourtant tant marquer le règne du roi Louis XVI.
Le tout jeune roi, peu préparé aux grandes décisions politiques, a vingt-deux ans quand il décide d’apporter une aide sans faille à la jeune nation. Il n’hésitera pas à engager la France dans une refonte complète de son Armée et de sa Marine contre les conseils de son ministre des finances Turgot. Pour pouvoir mener à bien ses projets, les crédits affectés à la flotte de guerre seront quadruplés. Les historiens de l’Université de Cornell[1] ont estimé le soutien royal à la cause des Etats-Unis à au moins un tiers du produit intérieur brut de notre pays pendant sept ans. Turgot non écouté démissionnera, et cet effort financier colossal sera sans aucun doute une des causes majeures de la révolution, moins de vingt ans plus tard.
Peu avant une visite du Président G.W. Bush à Paris, le Duc d’Anjou Louis de Bourbon déclare devant la Société des Cincinnati, société regroupant à titre héréditaire des descendants de combattants français et américains de la Guerre d’indépendance, dont il préside la branche française : « Louis XVI a payé de sa tête la participation de la France à la guerre d’indépendance, tant il est vrai que la banqueroute financière qu’elle provoqua doit être regardée comme une des causes de la Révolution française ».
On peut s’interroger sur les raisons d’un tel silence de la part de notre corps enseignant et de nombreux historiens, qui les ont conduits à écarter quelques unes des pages les plus marquantes et aussi les plus illustres de notre histoire et de celle des Etats-Unis. A l’exception de La Fayette, de Rochambeau, de Grasse et D’Estaing, de L’Enfant, le nom et le rôle essentiel joué par d’autres officiers, plus généralement ingénieurs issus du Corps royal du Génie et réclamés par le gouvernement américain ou volontaires et suffisamment qualifiés pour servir comme tels dans la guerre qui assurerait l’indépendance et l’essor de ces colonies, demeure méconnu comme en attestent les quelques exemples ci-après.
Les meilleures encyclopédies françaises ou étrangères que j’ai pu consulter oublient ces officiers du Génie et surtout parmi eux, le Général Duportail. L’édition de 1922 de l’encyclopédie Larousse consacre quelques lignes au seul Duportail, mais par la suite cette référence a été abandonnée ; le directeur de la publication que j’avais consulté pour en connaître la raison me répondit : « qu’on ne pouvait pas présenter tous les militaires, fussent-ils des généraux ». On peut supposer qu’il ne connaissait rien de ce personnage, faute peut être de n’avoir trouvé aucun document rapportant sa vie et sa carrière.
La « Chronique de l’Amérique », merveilleux agenda journalistique de l’histoire de ce pays publié par le même éditeur qui détaille presque au jour le jour les évènements survenus aux Etats-Unis est autant silencieux, alors qu’il fourmille de détails sur des faits souvent dignes d’intérêt, mais non déterminants pour le sort de la jeune nation en marche.
J’ai pris aussi le temps de lire les ouvrages remarquables du grand spécialiste français de l’histoire des Etats-Unis, le professeur de l’Université de Paris André Kaspi : ses ouvrages comme « Naissance et essor des Etats-Unis » (1607-1945) et « L’Indépendance américaine » (1763-1789) très complets pour ce qui touche aux phénomènes politique et sociaux de cette période sont muets quant au rôle de nos officiers du Génie ; leur nom n’est pas évoqué.
Enfin, Jean-Jacques Jusserand, ancien Ambassadeur de France aux Etats-Unis, qui rédigea au début du siècle dernier un livre tout aussi remarquable sur les relations historiques entre nos deux pays, cite une fois Duportail, mais ne développe pas le rôle joué par celui-ci.
Je veux donc dans cet ouvrage, rappeler la carrière de cet officier du Génie, comme celle de ses compagnons qui devaient jouer un rôle majeur dans le conflit.
 
LA DECOUVERTE DU PERSONNAGE
 
Pourquoi vouloir tout à-coup rappeler la mémoire de ce grand ancien et de ses compagnons, et prétendre compléter, sinon corriger l’Histoire commune des Etats-Unis et de la France ? Cette volonté apparemment prétentieuse n’est que la conséquence d’une expérience américaine à l’occasion de mon affectation comme officier de liaison dans le « Corps of Engineers » des Etats-Unis. Mes fonctions s’exerçaient autant à l’Académie militaire des Etats-Unis de West Point (NY), qu’à l’Ecole et au Centre du Génie de Fort-Belvoir (VA).
Lors des prises d’armes ou dans l’accomplissement des actes quotidiens de la vie militaire, en visitant le musée du Génie local, en prenant part aux cérémonies du bicentenaire de la bataille de Yorktown (VA), décisive pour le sort de la nation américaine, coprésidées par les Présidents Reagan et Mitterrand le 19 octobre 1981, en interrogeant les historiens du « Corps of Engineers » et de l’Académie militaire des Etats-Unis, j’ai découvert l’engagement de notre grand Ancien dans toutes les opérations de siège ou de travaux de fortifications, comme dans la préparation stratégique et la conduite des opérations de la guerre d’indépendance.
Ce rôle fut déterminant dans la bataille de Yorktown qui devait marquer officiellement la fin des combats et le début d’une nouvelle ère pour la jeune nation.
Bien qu’ayant préparé mon séjour avec la plus grande attention, je dus me rendre à l’évidence : j’ignorais tout de cette tranche de notre histoire, mais où en aurais-je trouvé les éléments ?
Force me fut de constater que les Américains étaient plus fidèles que nous à ce besoin de mémoire ; seuls à ma connaissance, quelques officiers français, deux historiens féminins et les descendants reconnus de combattants ayant pris part aux engagements contre l’Angleterre lors de cette Guerre d’indépendance, ont produit des ouvrages et engagé des actions pour préserver le souvenir de celle-ci.
Je ne voudrais pas manquer de rappeler les noms du général Riche, des Colonels du Génie Roche et Cestac, du Lieutenant-Colonel Bodinier, de monsieur Jouve, de mesdames Anne Blanchard et Françoise Planchot, des responsables des Sociétés des Cincinnati, des Fils et des Filles de la Révolution américaine, de monsieur Jean Langlet et de tous les membres d’une association de Mézières « Les Amis de la grive », fiers de rappeler que leur ville avait accueilli dans ses murs l’Ecole du Corps royal du Génie par laquelle passeraient Duportail et la grande majorité de ses compagnons d’aventure.
Cette fidélité américaine au souvenir particulier de nos ingénieurs m’était régulièrement représentée dans les tenues militaires : les tenues de sortie des militaires du Génie américain sont agrémentées de boutons dorés, ornés d’un motif strictement réservé à cette Arme, les autres Armes affichant un modèle unique. Ce bouton du Génie comporte la devise écrite en français « Essayons » dont on peut penser qu’elle avait été initiée par nos officiers venus de France, même si les historiens locaux en doutent sans pouvoir eux aussi apporter la moindre preuve en ce sens. Ces boutons sont naturellement appelés « Essayons Buttons » ; le verbe essayer avait sans doute à cette époque un sens plus volontariste que de nos jours.
« Essayons » est encore maintenant la devise qui figure sur tous les écussons des différentes composantes du « Corps of Engineers », présent sur tout le territoire des Etats-Unis. Je préfère conserver cette appellation américaine, qu’on ne peut traduire simplement par Génie, Génie militaire, Corps du Génie tant le champ des activités de cet organisme dépasse celui de notre Arme et de notre Service, puisqu’il a aussi en charge toutes les constructions pour les administrations fédérales, et qu’il gère toutes les ressources en eau, la production d’énergie hydroélectrique, les grands parcs nationaux, entretient les voies navigables, les phares et balises, les écluses. Bref l’actif dont il est responsable est de loin bien supérieur à celui d’Exxon, première entreprise économique du monde.
Lors des cérémonies de remise de décorations auxquelles j’étais régulièrement convié quand il s’agissait de récompenser les meilleurs éléments de l’Arme pour les services rendus de caractère exceptionnel, je m’aperçus que la médaille remise s’appelait « De Fleury Medal ». On m’expliqua que ce « De Fleury » fut un valeureux officier du Génie américain, originaire de France qui avait vaillamment combattu lors de la guerre d’indépendance. Le Colonel du Génie Cestac, alors en retraite dans ce pays et président d’une association perpétuant sur le sol américain les liens fraternels établis entre nos pays, « Le souvenir français », tint à me faire connaître ce Fleury, héros de France connu de tout le Génie américain. J’ai tenu à reproduire en fin de ce chapitre ce récit dans son intégralité.
Sollicité régulièrement par l’Académie de West Point (USMA : United States Military Academy) située sur le fleuve Hudson à 80 km en amont de New York (NY) pour y donner des conférences, le plus souvent dans notre langue sur demande expresse de sa direction, je fus remarquablement accueilli par l’ensemble des cadres enseignant le français. Ceux-ci me révélèrent le rôle joué par les officiers du Corps royal du Génie dans la fortification locale, puis dans la création et le fonctionnement d’une école du Génie, la première école d’ingénieurs créée aux Etats-Unis. Cette école devrait plus tard sur ce même site donner le jour à une Académie, comme l’avait maintes fois demandé Duportail. L’enseignement y sera assuré au départ, en majorité par des officiers français utilisant des manuels venus tout droit de France.
La magnifique bibliothèque de l’Académie témoigne toujours de la présence de ces officiers de par les nombreux ouvrages utilisés pour les premiers élèves d’alors, comme le premier cours de géométrie descriptive de Gaspard Monge. La plus belle pièce conservée est sans conteste un traité de fortification de Vauban annoté de sa main. On ne s’étonnera donc pas à ce que le vocabulaire de fortification toujours utilisé par les militaire américains soit le même que le nôtre à quelques petites différences orthographiques près :
Abatis, banquette, barbette, bastion, berm, casemate, cheval-de-frise, demi-lune, embrasure, enceinte, enfilade, epaulement, escalade, fascine, fleche, fosse, fougass, fraise, gabion, glacis, lunette, merlon, palisade, parapet, rampart, redan, redoubt, reentrant … sont toujours les termes américains utilisés pour la fortification.
 
 
Néanmoins, pour des raisons que personne ne peut encore expliquer, Duportail bien connu dans le monde des « Ingénieurs », n’a pas obtenu dans le nouveau monde une gloire identique à celle de La Fayette, son admirateur et son ami dont plusieurs villes portent le nom aux Etats-Unis, ni la reconnaissance toujours visible justement méritée par Rochambeau. La route nationale n° 1 de Boston (MA) à Miami (FL) porte son nom accolé à celui de Washington en souvenir de la marche victorieuse des armées française et américaine sur Yorktown (VA). Un Comité (W3R : Washington Rochambeau Revolutionnary Road) œuvre pour que l’itinéraire réellement emprunté par Rochambeau de Boston (MA) à Yorktown (VA) soit spécialement redessiné et signalé.
Enfin la marine américaine possède de manière permanente une unité baptisée « Count De Grasse », que j’ai pu voir amarrée en couple avec notre « De Grasse » à Yorktown (VA).
Quelques villes ont toutefois donné le nom de Duportail à une de leurs artères, mais sans qu’on puisse en connaître l’origine. Fort Belvoir (VA) sanctuaire du « Corps of Engineers » et Valley Forge (PA) constituent des exceptions.
Très récemment j’ai découvert que la statue de La Fayette sur la place éponyme face à la Maison Blanche à Washington DC, était entourée à sa base par quatre personnages, les amiraux De Grasse et D’Estaing sur un côté, et les généraux Rochambeau et … Duportail sur l’autre. Aucun document touristique sur place, aucune plaque au pied du monument ne nomme les personnages devant lesquels je suis si souvent passé ! Et les catalogues des deux sculpteurs français, qui ont exécuté cette œuvre, Mercié et Falguière, Grands prix de Rome et tous deux anciens directeurs de l’Ecole des beaux-arts à Paris, ne mentionnent pas cet œuvre. Selon l’expert national en statuaire du Musée d’Orsay, cet ensemble aurait été commandé par le Congrès des Etats-Unis au milieu du 19ème siècle, mais aucune commande ou justification de cette construction n’a pu être retrouvée.
En France, sa ville natale de Pithiviers (Loiret) a donné le nom de Duportail à la rue dans laquelle se trouve un petit musée qui lui est consacré. Une plaque sur la maison où il est né rappelle brièvement sa carrière. Mais la caserne orléanaise qui portait son nom a disparu après la Deuxième guerre mondiale.[2]
La Fayette est honoré par les Américains le 4 juillet de chaque année, jour anniversaire de l’indépendance devenu fête nationale des Etats-Unis, au cimetière de Picpus à Paris où il repose aux côtés de son épouse. Duportail ne peut recevoir aucun hommage posthume : mort en mer à mi-chemin de sa traversée de l’Atlantique lors de son retour en France sur demande de Bonaparte en 1801, il fut immergé comme il était d’usage. Il a été complètement oublié depuis par nos compatriotes qui ne lui ont même pas érigé un cénotaphe ou une statue.
Pourtant sa réputation aurait dû rejaillir sur le Génie français. L‘empreinte dont il avait marqué son séjour au service des Etats-Unis, amenait cette nation à recourir après les conflits aux services de nouveaux cadres de notre Arme. Ceux-ci au-delà des traditionnelles missions militaires du ressort du Génie, devaient contribuer par leur savoir, leur expérience et leurs conseils, à la vitalité et au développement de ce pays.
Rappelons tout particulièrement le Général Simon Bernard professeur à West-Point   (NY), puis Directeur des fortifications de la côte est des Etats-Unis et conseiller en voies de communication fluviales ou ferrées. Citons aussi « le demi-solde d’Empire » le Capitaine Crozet, cofondateur de la deuxième grande école militaire des Etats-Unis « The Virginian Military Institute » à Lexington (VA), professeur lui aussi à West-Point (NY), concepteur d’une ligne de chemins de fer et auteur de recherches sur les voies navigables de la côte est des Etats-Unis.
 
 
En prenant part aux travaux du Comité scientifique du Musée du Génie dont l’inauguration était prévue à Angers dans les tout-débuts de la première décennie de ce siècle, j’ai reçu la mission de préparer le thème « Rôle des officiers du Génie français dans la Guerre d’indépendance des Etats-Unis » en faisant majoritairement appel comme il se doit, aux documents authentiques et à la bibliographie de qualité reconnue.
La France ne possède que peu de documents relatifs à l’action de Duportail, et souvent très dispersés : archives diplomatiques du Ministère des Affaires étrangères, archives de la Bibliothèque nationale de France, archives nationales, archives municipales du Havre, registre de catholicité du Diocèse d’Orléans, archives départementales du Loiret, archives de l’Ecole du Corps royal du Génie de Mézières conservées par le Service historique de la Défense à Vincennes, registres de contrôle des officiers et archives administratives du Génie détenus par le même service, archives notariales.
Les Etats-Unis en revanche détiennent  la majorité des correspondances établies ou reçues par cet officier dans ce pays. A quelques exceptions près citées mais introuvables, ces mémoires, lettres, cartes, dessins, plans établis par lui-même ou par les officiers du Génie qui lui étaient subordonnés, se retrouvent à la Bibliothèque du Congrès, aux Archives nationales administratives et historiques (NARA), à l’Association des Ingénieurs militaires ou au Commandement du Génie à Washington D.C., au Parc national historique de Pennsylvanie à Philadelphie et Valley Forge (PA), dans les Universités de Cornell (NY) et de Yale (CT), à l’Académie militaire de West Point (NY), à la Société historique de New York (NY) et dans les nombreux sièges des sociétés regroupant les descendants de ceux qui avaient combattu pour l’indépendance des Etats- Unis.
Un chercheur de la région de Pithiviers connaissant mes travaux a eu l’extrême générosité de me faire parvenir de remarquables documents.
On doit regretter les tentatives de dispersion de nombreuses archives privées mises en vente par des descendants des héros de la guerre d’indépendance des Etats-Unis, comme lors de cette vente aux enchères, découverte alors que je recherchais sur Internet des documents sur Duportail détenus par les descendants de Rochambeau. Cette vente prévue à l’Orangerie du Château de Cheverny le 9 juin 2008 risquait de conduire à une dispersion du patrimoine historique de la famille de Rochambeau à travers le monde … Le Ministre de la culture que j’ai interrogé m’a fait savoir « qu’un certain nombre de pièces d’archives relatives au général de Rochambeau et à la guerre d’indépendance des États-Unis avaient pu être acquises pour les collections nationales ».
Enfin, Duportail devra souvent constater que de nombreux courriers destinés à la France ont disparu, soit saisis par les Anglais, soit jetés à la mer sur ordre pour ne pas être pris par ces derniers.
 
Ma quête de documents authentiques fut facilitée par les usages de l’époque rigoureusement suivis par les Américains : tout document faisant l’objet d’un envoi ou d’une réception était dupliqué dans un registre, y compris aussi dans le tout-début des relations franco-américaines les brouillons et les nécessaires traductions réalisées par un officier américain, ou de concert avec lui.
Un éminent historien féminin des Etats-Unis Elizabeth Kite (1933) a recherché dans son pays comme dans le nôtre, les documents où figuraient le nom de Duportail, qu’il soit auteur ou destinataire du document ou bien que son nom soit simplement cité. Grâce aux références de ces écrits facilement accessibles par Internet dans les centres de documentation, grâce aussi à l’extrême courtoisie des responsables de ces centres, il m’a été facile de retrouver les originaux et d’en obtenir la copie. Que tous ceux qui lors de mes recherches m’ont apporté une aide plus que précieuse en soient remerciés !
 
On peut comprendre que dans des temps passés, il ait été extrêmement difficile à nos historiens de retrouver toute cette documentation citée par Elizabeth Kite, les frais d’acquisition, les autorisations d’emploi obligatoires, les fréquents voyages parfois nécessaires, rendant les investigations difficiles et coûteuses, puisque ces documents sont en Amérique dispersés en gros de Boston (MA) à Yorktown (VA).
Ma recherche de vérité dans les faits fut parfois difficile, soit parce que le rôle de nos officiers et surtout de Duportail ait été minimisé dans de nombreux récits sur sa personne, comme la découverte des pièces authentiques me permit d’en faire le constat, soit du fait de la survivance d’un ressentiment puissant encore vivace contre les Français datant des conflits anciens qui ont précédé la Guerre d’indépendance. Au cours la Guerre d’indépendance, de nombreux Américains, conservant le souvenir de la Guerre de sept ans, qui les avait opposés aux Français sur leurs terres, ne nous étaient pas favorables. Si La Fayette avait commandé une division de Virginiens qui lui étaient dévoués corps et âmes, les Anglais étaient renforcés d’un bataillon issu de « Loyalists », donc américains recrutés dans le pays. Le catalogue officiel des batailles de la Guerre d’indépendance entériné par le Congrès comporte la bataille de Moore’s Creek Bridge (NC) le 27 février 1776 qui opposa deux unités américaines, l’une « Patriot » contre l’autre « Loyalist ».  
Enfin le Général Benedict Arnold qui joua pourtant un rôle décisif contre les Anglais à la bataille de Saratoga (NY), première grande victoire des Américains, ne fut pas non plus le seul déserteur américain à se rallier aux Anglais contre les Français. Pire, on prétend que 100 000 « Loyalists » ont préféré s’expatrier à la fin des combats, le plus souvent vers le Canada.
Le temps n’a pas encore effacé ces mauvais souvenirs … Je fus personnellement très étonné à l’occasion des festivités du bicentenaire de la bataille de Yorktown (VA) en 1981, de découvrir la ville de Williamsburg (VA) deuxième capitale de la Virginie, avant que Richmond (VA) ne la remplace, pavoisée par ses habitants aux seules couleurs des Etats-Unis et de l’Angleterre. Notre Président de la République d’alors, reçu dans cette ville, a bien dû s’en apercevoir.
Je veux humblement par cet ouvrage apporter ma contribution à l’histoire de l’Arme du Génie et de notre pays déjà entreprise par les quelques auteurs que j’ai déjà nommés, en mettant essentiellement en lumière le rôle hors du commun joué par Duportail dans une entreprise qui bouleversera le monde pour les siècles à venir.
J’espère que tous ceux qui ont la mission de rappeler les hauts faits de notre histoire dans nos écoles et de conserver la mémoire de nos compatriotes ayant œuvré pour la grandeur de notre pays, auront la bonté de lire ces quelques pages et de les commenter autour d’eux. Parmi les nombreux oubliés de l’Histoire de France, le général Duportail mérite d’échapper à l’oubli, et d’obtenir une reconnaissance au moins égale à celle qu’on manifeste toujours envers La Fayette. Celui-ci devenu rapidement son ami contribuera efficacement à la suite donnée à la carrière de Duportail par les éloges qu’il en fit à Louis XVI. Cette amitié sera hélas interrompue par la Terreur qui les condamnera à l’exil, volontaire pour l’un et subi pour l’autre, et à une séparation définitive.
L’élan est donné !
L’Ecole du Génie a montré l’exemple : grâce à la compréhension de son commandement et à l’intervention de mon ami le Général Riche qui anime localement le souvenir des anciens élèves des écoles qui ont formé les cadres de l’Arme ; le nom de Duportail figure au frontispice d’un de ses amphithéâtres nouvellement réalisé. Une plaque rappellera les noms de tous ceux qui affectés dans le Génie américain ou le Génie français, ont pris part à la création et à l’essor du Nouveau Monde.
 
Les deux branches de l’Association « The Sons of the American Revolution » ont prévu de rappeler la contribution de Duportail à l’indépendance des treize colonies américaines, lors de leurs prochaines réunions. Je ne peux que me réjouir de ces manifestations en espérant qu’il leur sera donné toute l’aura qu’elles méritent, et remercie les organisateurs de m’y avoir convié.


[1] (NDLR) : située à Ithaca dans l’Etat de New York à 400 km environ au nord-ouest de la ville éponyme)
[2] NDLR : Il faut se méfier des confusions possibles. Dans certaines villes de France comme Saumur ou Le Croisic par exemple, les voies nommées « Duportail Louis » n’ont rien à voir avec le Général Louis Duportail, mais rappellent la construction d’un portail de gloire bâti à l’occasion de la venue d’un roi capétien.
 



Créer un site
Créer un site