L’ouvrage
S’il est un mot japonais passé dans presque toutes les langues de la Terre, c’est celui de « samouraï ». Mais qui est-il, ce samouraï ? La représentation que nous autres Occidentaux nous en faisons, de même que bon nombre de citoyens nippons, est dans une large mesure le fruit d’une lecture orientée de l’Histoire, héritée d’une époque où les samouraïs avaient cessé depuis longtemps d’être des combattants. Cette fiction repose sur des exigences morales anachroniques. Bien que séduisante, elle élude les caractéristiques de l’élite militaire lorsqu’elle est investie de l’autorité politique : monopolisation du pouvoir par le recours à l’autolégitimation, strict cloisonnement social garantissant la continuation de l’hégémonie coutumière, culte de l’honneur confinant à l’obsession.
L’éthique chevaleresque se définit en premier lieu par sa vocation à sauvegarder des valeurs considérées comme l’apanage de l’aristocratie. Aussi longtemps que les samouraïs exercent le métier des armes, cette logique exclusive va perdurer. Ce n’est qu’au XVIIe siècle, avec l’avènement de la paix, que le rôle social du guerrier est remis en cause. Alors seulement, les préceptes régissant la « Voie du Guerrier » sont strictement codifiés. Auparavant, ils se transmettaient presque uniquement de manière orale. Seule la crainte de voir la caste dominante se départir de ses qualités martiales à la faveur de la pacification du pays, dicte les efforts entrepris par les théoriciens du Bushidō à dessein de coucher sur le papier un code embrassant les champs pratiques, théoriques et même philosophiques.
La postérité a replacé le Bushidō dans son contexte historique précis, celui d’un Japon médiéval au seuil de la modernité. Pour autant, il faut prendre garde de ne pas le réduire à l’acception romantique que l’Occident lui connaît, notamment par le biais des arts martiaux. En effet, ce mot chargé d’histoire revêt un tout autre sens auprès d’un grand nombre de nations asiatiques ayant eu à courber l’échine sous le joug de l’envahisseur japonais durant la Seconde Guerre mondiale. Pour les victimes des exactions commises par l’armée impériale, le Bushidō n’est pas synonyme d’héroïsme guerrier, il évoque l’oppression et la barbarie des occupants. Cela n’a rien d’un hasard. Au-delà d’une récupération idéologique par le régime ultra-militariste des années 1930, ce code ne fut jamais exempt d’une certaine part d’obscurité, dans ses invites à peine voilées au fanatisme, ou son exaltation d’une soumission absolue. Il illustrait les aspirations d’un peuple tout juste soustrait à une anarchie séculaire, et tenu en respect par des dirigeants soucieux de façonner une société docile. Toutefois, même aux heures les plus sombres de leur crépuscule, les samouraïs se remémoraient les faits d’armes des héros du passé. Ils invoquaient les mânes de leurs glorieux ancêtres, qui avaient brillé au firmament du sengoku jidai. : « l’âge des provinces en guerre ».
Ces « grands noms » avaient tissé leur propre légende, sur la trame d’une lutte qui semblait alors devoir durer toujours. Quand elle avait pris fin, au terme d’innombrables batailles, les samouraïs avaient écrit les plus belles pages de leur histoire. Un nouvel ordre politique émergeait de ce chaos primordial, traversé d’astres étincelants : destins épiques de personnages frappés au coin de la grandeur ou de la petitesse. Ce chaudron bouillonnant d’une violence inouïe, qui fait aujourd’hui encore figure d’âge d’or des guerriers japonais, fut aussi une période de mobilité sociale effrénée, une ère de réformes structurelles décisives. Et puis il y a l’art. Car cet « âge des provinces en guerre », toile de fond du présent ouvrage, est aussi celui d’une floraison artistique sans égale – entrant en résonance avec notre Renaissance – une époque d’intense création théâtrale, picturale, spirituelle.
Telle était la Voie que les samouraïs s’efforçaient d’atteindre. Ils se concevaient en combattants valeureux et indomptables, parcourant un chemin sinueux aux lendemains incertains, jalonné de parenthèses enchantées : grandioses représentations de Nō, délicates cérémonies du thé ou joutes poétiques. Du moins est-ce ainsi qu’ils se complaisent à décrire, au fil des chroniques, leur univers insaisissable, d’une sauvage beauté. Mais ce miroir soigneusement poli est-il fidèle à la vérité ? Qui étaient réellement ces hommes, au temps où ils s’affrontaient inlassablement, avant que la concorde ne règne à nouveau sur le Japon ? Eux qui avaient voué leur existence tout entière à la carrière militaire, comment livraient-ils combat ? Tout à leur soif d’une gloire éternelle, quel crédit accordaient-ils aux idéaux qui allaient se fondre dans le creuset du Bushidō ? Tandis que leurs maîtres s’employaient à rétablir une paix qui mettrait en péril leur suprématie, avaient-il conscience de l’inéluctable perte prochaine d’un fragment capital de leur essence ?
L’adage populaire reproche aux faits d’être têtus. Ils demeurent, envers et contre tout, bien plus éloquents que l’emphase des harangues ou la pompe des dithyrambes. Si l’entreprise consiste à démystifier, à démythifier le samouraï, alors il faut aller à sa rencontre sur les champs de bataille plutôt que sous les seules frondaisons des cerisiers en fleurs. Il faut braver l’angoisse de la trahison, mordre la poussière et dépasser la hantise du tombeau, afin de vérifier le bien-fondé du jugement porté par François de Pagès. De retour de sa fabuleuse odyssée en 1797, l’infatigable voyageur dépeignait l’insulaire nippon comme issu d’un peuple « ennemi de toute bassesse, supportant avec courage les disgrâces et méprisant la mort qu’il se donne pour le plus léger sujet. L’honneur est le principe, le mobile de ses démarches. »
Les premiers rayons du soleil dardent à l’horizon, annonçant l’aurore de la chevalerie japonaise et son épopée fondatrice. L’heure du zénith sonnera plus tard, celle des conflagrations majeures, d’une accélération de l’Histoire culminant dans un apogée superbe et tourmenté, incarné par l’implacable Oda Nobunaga et le visionnaire Toyotomi Hideyoshi. Lorsque la poussière de Sekigahara sera retombée, l’habile Tokugawa Ieyasu aura raflé la mise. Enfin, les ultimes convulsions des guerres endémiques, avec en point d’orgue la chute de l’orgueilleuse Ōsaka, marqueront les derniers feux du Crépuscule des samouraïs.
L’auteur
Julien Peltier a 32 ans. Il occupe la fonction de directeur artistique au sein d’une agence de communication. Passionné par l’épopée des samouraïs depuis une dizaine d’années, il est également le fondateur, président d’honneur et ancien responsable éditorial de l’association « Clan Takeda », qui s’efforce de promouvoir les cultures d’Asie. Julien Peltier est l’auteur de nombreux articles, essentiellement historiques, sur le site et le webzine de l’association. En outre, il a animé plusieurs conférences consacrées aux grandes batailles de l’histoire du Japon, notamment dans les bibliothèques de Monts en Indre-et-Loire, Montesson dans les Yvelines, ou sur le salon « Japan Expo », qui rassemble chaque été plus de 100 000 passionnés à Villepinte.
Table des matières
Introduction
Avertissement
Le samouraï, figure chevaleresque ?
Liste des principaux personnages
Première partie Aurore - les pères fondateurs
Chronologie
Chapitre I - Les premiers samouraïs
« Ceux qui servent »
L’arc et le cheval
Chapitre II - la guerre des Genpei : un conflit fondateur
L’ascension des clans guerriers
Le triomphe des Minamoto
Chapitre III - La régence Hōjō et les invasions mongoles
Les usurpateurs Hōjō
Le « Vent des dieux »
Chapitre IV - La restauration Kenmu, un rendez-vous manqué
Le retour de l’empereur
L’échec de Go-Daïgo
Chapitre V - Le shogunat Ashikaga
Grandeur et décadence
La guerre d’Ōnin
Chapitre VI - Un monde sens dessus dessous
Un vent de liberté souffle sur les campagnes
Les ikkō-ikki dans l’arène politique
L’émergence des « grands noms »
Deuxième partie Zénith - une guerre de cent ans
Chronologie
Chapitre VII - Le nouvel art de la guerre
Le temps des fantassins
L’âge de la pierre
Ninjas : de l’ombre à la lumière
Chapitre VIII - Les royaumes combattants
Shōgun et empereurs ruinés, daimyō en pleine gloire
Takeda Shingen et Uesugi Kenshin : tigre et dragon
Chapitre IX - Oda Nobunaga : l’ambition d’un Japon réunifié
Okehazama, à la croisée des destins
En route pour Kyōto !
Chapitre X - Un nouveau centre de gravité
La résistance s’organise…
Nobunaga sur tous les fronts
Nagashino, la chute de la maison Takeda
Une main de fer se referme sur le Japon
Chapitre XI - Toyotomi Hideyoshi, un « singe » visionnaire
Le vengeur de Nobunaga
La course au pouvoir
Chapitre XII - Le Kanpaku ramène la paix
L’homme qui voulait être roi
Kyūshū rend les armes
Le règne, la puissance et la gloire
La paix des braves
Troisième partie Crépuscule - Les derniers géants
Chronologie
Chapitre XIII - L’invasion de la Corée
Entre le marteau et l’enclume
Une paix précaire
Aube rouge sur le « pays du matin calme »
L’Empire du Milieu entre en lice
Chapitre XIV - Les illusions perdues du Taikō
Au nom du fils
Le retour des « bandits »
Le conseil des régents
Chapitre XV - la bataille de Sekigahara
Un enjeu énorme : le Japon tout entier
La mère de toutes les batailles
Le baiser de Judas
Chapitre XVI - Tokugawa Ieyasu : les moissons du siècle
Les lièvres et la tortue
Ieyasu redistribue les cartes
Chapitre XVII - Musashi et Munenori, deux génies du sabre
Le samouraï errant
Duel au sommet
Le maître d’âmes
Chapitre XVIII - Ōsaka, dernière guerre entre samouraïs
Pour qui sonne le glas
Le siège d’hiver
La campagne d’été
Épilogue Pax Tokugawa
Annexe : Chronologie du Japon médiéval
Annexe : Les shōgun, shikken et maîtres successifs du Japon, de 1192 à 1638
Bibliographie
Glossaire