Gyrophare éthique pour soldats de crise

par Frère Marie-Angel et Samuel Rouvillois
 
 

Les  auteurs

 

 Samuel Rouvillois :

 Samuel Rouvillois est prêtre de la Communauté Saint Jean, docteur en philosophie. Il a été notamment sollicité au Forum économique mondial de Davos. Il conseille et enseigne dans le milieu des chefs d’entreprises.

Corps et sagesse, philosophie de la liturgie, Fayard, 1995

Vers un nouvel âge ?, Sarment, 2000

L’homme fragile, Ephèse Editions, 2009

 

Frère Marie-Angel :

Il est le fondateur d’une école de jeunes sapeurs-pompiers (C.S.S.B.) où 500 adolescents s’y sont formés en douze ans. Il est aussi secouriste à l’Ordre de Malte.

Frère Marie Angel est aumônier militaire depuis 2002. Il a servi entre autres comme sapeur et comme aumônier à la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris, puis au Groupement Blindé de Gendarmerie Mobile (GBGM) et au Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN). Il sert à la

L’enfant dont le nom est Germe, L’Icône de Marie, 2004

Du Feu de Dieu, Presses de la Renaissance, 2005

Les canailles aussi ont une âme, Editions des Béatitudes, 2010


« L’un de ces aumôniers chez les Pompiers de Paris a joué un grand rôle lorsqu’une explosion dans un immeuble de Neuilly a causé la mort de cinq jeunes pompiers. J’étais présent sur les lieux du sinistre et à la célébration des obsèques.
Il a su trouver les mots pour apaiser la douleur et rassurer les survivants. Lui-même était bouleversé. C’était une belle image d’humanité.
Pour des hommes qui sont à ce point en contact quotidien avec le danger, la présence d’un homme de Foi apporte de la paix, de l’humanité, de la confiance, y compris aux non croyants ».
 
Nicolas Sarkozy, sur le drame du 14 septembre 2002.
« La République, les religions, l’espérance » – Cerf (2004)


« Merci de ce beau livre plein de Foi et d’émotion qui rend un hommage formidable aux soldats du Feu.

J’ai été très sensible à votre réflexion sur le monde de la souffrance.

Nos armées ont besoin de moines-pompiers pour affronter le feu dans les détresses humaines.

Je pense que tous s’y reconnaîtront « ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas ».

 

Général Bentegeat, Chef d’Etat Major des Armées (2002-2006)

Lettre au frère Marie Angel à propos de son livre « Du Feu de Dieu »

Presses de la Renaissance (2005)

PREFACE de Monseigneur Luc Ravel, évêque aux armées
 
Mes professeurs de sciences naturelles m'enseignaient jadis qu'il existe en l'homme des actes réflexes. Un exemple revenait, toujours le même : l'homme qui, par mégarde, a posé sa main sur un objet brûlant, la recule instantanément sans même avoir fait l'analyse de l’agression et de son mouvement. Ce geste-là n'obéit pas à une réflexion, trop lente, mais à un réflexe.
En l'homme, existent donc des modalités d'urgence qui court-circuitent les processus habituels et grâce auxquelles il survit à des conditions extrêmes où son humanité risque gros. Des manières d'être et de faire par lesquelles il reste debout dans des situations de crise au sein desquelles son humanité peut être lourdement atteinte dans sa dimension physique, psychique et spirituelle.
 
Le livre qui suit s'intéresse précisément à ces actes réflexes « intérieurs » : ceux qui permettent la survie voire la renaissance de l'homme pendant ou après des événements puissants, violents, déchirants. Pensons à nos combats : il y a la guerre sur les champs de bataille. Mais il y a la guerre contre le feu, au cours d’un incendie, contre le temps, lors d'une intervention d'urgence, contre un adversaire mal identifié, dans une prise d'otage, etc.
 
En parlant de ces situations de crise, nous pensons immédiatement à ces hommes et ces femmes engagés comme acteurs pour sortir de ces crises : pompiers, gendarmes, policiers, militaires, secouristes et tant d'autres grands serviteurs de l'homme et de leur nation. Ce livre est un hommage à leur dévouement caché et à leur grandeur secrète.
Mais il veut toucher plus loin que le cercle déjà très large de ces inlassables briseurs de la mort et serviteurs de la vie. Sommes-nous, en effet, assurés d'être toujours exemptés d'une participation active à de telles crises ? Les tremblements de terre ne choisissent pas leurs victimes et la folie humaine ne fait pas de tri savant entre les hommes.
 
Et puis, si des cataclysmes imposants font vibrer la terre, d'autres théâtres d'opérations infiniment plus discrets nous placent aussi dans des situations limites pour notre humanité : un harcèlement professionnel, une déchirure affective, une absence de sens... que chacun s'éprouve dans ses propres résistances et il comprendra que le SAMU nécessaire n'est pas toujours médical ou social mais souvent spirituel et intérieur. Il saisira l’importance d’éduquer à ses actes-réflexes pour les connaître et les développer.
 
Ces actes-réflexes se cultivent : il n'est pas contradictoire d'affirmer qu'ils sont innés et, en même temps, qu'ils nécessitent un entrainement forcené. Comme nos muscles ont besoin d'exercices répétés pour conduire un geste plus puissant, plus précis, plus rapide, ainsi nos mécanismes les moins réfléchis réclament d'être pensés ! Voilà la proposition de ce livre : une réflexion sur les réflexes, et parmi eux, ceux qui engagent la santé de l'âme.
Car l'homme a une profondeur intérieure et les risques encourus par le psychisme et par l'esprit ne sont pas moins grands que ceux visant le corps. On peut revenir estropié dans son cœur. Il y a des hommes à l'esprit blessé, au psychisme brûlé, à l’affectivité broyée. Le mot traumatisme, souvent employé pour désigner les maux de l'intérieur, ne dénonce pas assez l'ampleur des dégâts causés par des crises mal vécues sur le plan moral. Dans notre pensée commune, un peu de pommade suffit pour soigner un traumatisme : un bon conseil, un peu de repos, le recul du temps, voici les baumes intérieurs à même de soulager puis de guérir un traumatisme.
Mais il ne s'agit pas de cela ici, on l'a compris. Les témoins qui s’exposent dans ces pages ne parlent pas des éraflures de l’existence : chacun livre sa participation totale à des chaos humains.
 
Pour être évêque aux armées, il me revient souvent cette remarque concernant nos soldats tués ou blessés : « ils sont professionnels. Ils font leur métier et sont payés pour cela. » Et j’imagine qu’il en va de même pour ces autres services de pompier ou de policier. Nous avons probablement fait une grave erreur de communication en parlant d’armée de métier, de professionnels, que nous opposions à une armée de conscription, d’appelés. Par là, s’est incrustée dans l’esprit de nos concitoyens l’idée que nous faisions un « métier » de militaire, comme d’autres sont menuisier ou informaticien. Tragique méprise. Nous n’exerçons pas une profession, nous servons la Nation. Une entité plus grande que notre personne donne sens à notre vie et à notre action. Et voilà la source de notre enthousiasme.
 
Enfin, il me semble utile de nommer ce qui est commun à toutes ces situations de crise : le risque. Il vaut la peine d’être couru par tous. Les occasions de risque viennent toutes seules, ne craignons pas d’en manquer ! Craignons de ne pas avoir le courage de les accepter et de les fuir par peur ou dépit. Car, si nous entrons dans la spirale de l’assurance à tout prix et de la fuite des risques, nous allons passer à côté de notre humanité, et ce serait dommage pour soi et pour les autres qui ont besoin que nous soyons des hommes mûris sous le soleil de la prise de risque.
Car il est excessivement vrai, le propos de Gustave Thibon : « l’être qui court le moins de risques est ici-bas l’être le plus voisin du néant : qui ne risque rien n’est rien. Le risque est fait pour être couru : chaque être porte en lui de quoi surmonter les risques auxquels sa nature ou sa vocation l’expose. »
 
  
 

Les coauteurs de ce livre sont des hommes que j’ai vu œuvrer. Beaucoup d’entre eux sont des amis. Ils m’ont tous appris quelque chose de leur vocation. Avec plusieurs d’entre eux, j’ai été engagé dans des opérations de secours. Avec certains, j’ai connu la douleur de perdre des frères d’armes sur intervention : la tragédie de Neuilly sur Seine le 14 septembre 2002 et le drame d’Asnières le 6 janvier 2006.
Ils ont été impliqués dans diverses crises ou le sont encore : prises d’otages, forcenés, incendies, émeutes de banlieue, contre-terrorisme, tremblement de terre, crise sanitaire.
Pompiers, gendarmes et policiers, militaires, médecins urgentistes, ils appartiennent – ou ont appartenu – aux prestigieuses institutions de la République Française :
 
-         Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris (BSPP)
-         Groupement Blindé de Gendarmerie Mobile (GBGM)
-         Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN)
-         Service d’Aide Médicale Urgente (SAMU)
-         Unités d’Instruction et d’Intervention de la Sécurité Civile (UIISC N°7)
-         Direction Générale de la Police Nationale (DGPN)
-         Peloton Gendarmerie Haute Montagne (PGHM)
 
J’ai essayé de les observer dans leurs tourments professionnels, réagir aux escalades médiatiques violentes, aux provocations sur le terrain, aux brutalités. Je veux témoigner de la maîtrise de leurs actes et de leur aptitude à la fonction « choc » de l’urgentisme. J’ai vu combien la crise est au cœur de leur métier, toujours dans l’effort, parfois dans la douleur, jamais dans la plainte. Population blindée de pudibonderie, les soldats de crise parlent peu… Très humains, ces soldats de la république sont d’abord des enfants de la France, terre d’hospitalité et fille aînée des nations chrétiennes. Cette sève paraît ou transparaît dans quelques-uns de ces témoignages.
 
Tous ont accepté de coopérer à ce livre « Gyrophare éthique pour soldats de crise ».
Ils l’ont fait au nom de leur amour pour leur métier tourné vers la protection de la vie et de l’ordre.
Apportant leur pierre à l’édifice de cette réflexion éthique, ils veulent partir du vécu opérationnel, de sa gloire ou de ses ratés pour ne pas oublier, et transmettre à ceux qui viendront, le manteau des valeurs humaines du monde de l’urgence.
 
Chaque réflexion doit « ôter la pierre » de l’éthique. Cette éthique, dont j’ai remarqué qu’elle est bien faiblardement enseignée aux jeunes recrues dans les temps actuels, dans certaines écoles de formation.
« Ôter la pierre », c’est parfois sortir un cadavre. Notre République en conserve certainement dans ses caves.
« Ôter la pierre », c’est faire sortir les tabous de leurs tombeaux. Vous en ferez ce que vous voudrez, vous les délierez vous-mêmes.
 
C’est pourquoi le monde de l’urgentisme n’a pas besoin de maîtres en théorie seulement, mais aussi de témoins de combats vécus.
 
Ce livre est un cocktail de « théorique et pratique », une sorte de salade de fruits composée de gros et de petits morceaux, dont la saveur et la couleur se marient finalement bien.
C’est le cocktail de fruits qui est intéressant, et pas seulement le fruit en particulier.
Les soldats de crise n’écouteront leur maître que si ces derniers auront d’abord été des témoins du courage sur le terrain.
 
Ces réflexions n’entendent pas couvrir le sujet de manière exhaustive. Elles ne sont que quelques rampes de lancement pour débats d’école.
 
La mutation du monde moderne semble donner de manière significative des raisons d’espérer et de se réjouir d’une apparente paix :
 
1/ Sur 62 000 officiers saint Cyriens, 10 000 ont perdu la vie depuis sa fondation en 1802. Mais seulement douze sont morts au champ d’honneur ces quarante dernières années.
 
2/ On ne dit plus « Ministère de la guerre » depuis 1948, mais « Ministère de la Défense ».
 
3/ L’expression « soldat du feu » tend à laisser la place à « soldat de la vie », pour marquer la finalité ultime de tous les actes de sauvetage.
 
Si les soldats de crise qui œuvrent pour préserver la paix sociale et la vie doivent se réjouir de ces signaux positifs, ils doivent savoir paradoxalement que les menaces contre la vie   semblent ne jamais avoir été si fortes, les moyens de destruction si puissants…
 
« L’intensité et la quantité de violence physique et psychique que les humains continuent à s’infliger les uns aux autres, les logiques totalitaires dans lesquelles l’homme, au nom d’idées, est capable de détruire son semblable avec une conviction et une sincérité inégalées, font paradoxalement partie intégrante de ce XXème siècle qui se voulait celui des Droits de l’Homme. Alors qu’il se pensait humaniste, il pourrait apparaître au tribunal de l’histoire comme l’un des plus violents dans sa barbarie idéologiquement légitimée, et l’un des plus aveugles dans ses prétentions à changer le monde… ».
(Samuel Rouvillois)
 
Si la vraie victoire pour un soldat consistera toujours à ne jamais faire la guerre, si la vraie victoire pour un pompier consistera toujours à ne jamais partir au feu, leur véritable vice consisterait à ne plus être prêt au pire, à ne s’être qu’endormi sur les théories de la bataille.
« A entrainement difficile, crise facile »…
Oui, à condition de croire toujours dans l’absolu de la Vie, de croire dans la transcendance de sa devise, d’être habité par l’amour de son métier et de le faire dans le don et non dans la revendication.
 
Le Général de Gaulle disait : « La République est laïque, mais la France est chrétienne ».
Avec cette parole, impossible de ne pas penser à un grand nombre de ces coauteurs. Leur neutralité et leur discrétion dans l’exercice de leur fonction, jusqu’aux délicats silences sur les hommes politiques qu’ils ont côtoyés, ne les dispensent pas d’être des serviteurs de la République en doux ménage avec un cœur de croyant. Certains sont des soldats de crise dont la seule religion est celle de l’Amour et de la sincérité. Tous ont une conviction, celle que résumait si bien David Lebreton : « C’est le don anonyme d’un humain à un autre qui remet le monde en marche ».
 
Ayant appartenu à des unités d’hommes d’élite, je me suis délecté d’un parfum émanant de certains d’entre eux, celui de la modestie.
 
« C’est toi qui soignes, c’est Dieu qui guérit » (Ambroise Paré).
 
C’est toi qui gères, c’est Dieu qui est Providence,
C’est toi qui risques, c’est Dieu qui sauve,
C’est toi qui meurs, c’est Dieu qui prend ta vie.
 
L’homme s’est vu confier le devoir de résoudre des crises.
Dieu ne fait pas tout. Dieu délègue,
Dieu crée, l’homme procrée,
Dieu fait, l’homme parfait,
Et quand rien ne va plus, Il négocie par les prophètes.
 
Aux soldats de crise que je croise dans mon ministère, j’aime élever cette espérance : celui qui a les clefs de toutes les crises est le même qui, dans l’histoire, a affaibli les potentats, a maîtrisé les insensés, a secouru les désespérés (Saint Luc, 1), puis a détruit les œuvres du Diable (I Jean I).
Le brevet 274 du GIGN a épinglé cette parole du Christ dans son armoire métallique : « Voici, Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ».
 
Alors courage ! Soyez prudents comme des serpents et candides comme des colombes, car votre vocation est d’œuvrer en milieu déstabilisé en vous gardant des dégâts collatéraux sur vous-mêmes.
 
Vous, soldats de crise, votre vocation de préserver la Paix et la Vie, à votre insu parfois, est un honneur rendu au Créateur, Maître de la Vie :
 
« La Gloire de Dieu, c’est l’Homme Vivant » (Saint Irénée).
 
« Paix aux hommes de bonne volonté » (Evangile de Saint Mathieu).
 
 
 
Marie Angel Carré
Aumônier militaire

SOMMAIRE
Préface
Introduction
Chapitre 1.   Crise en thème 
Chapitre 2.   Notes personnelles sur l’assaut de l’Airbus A300  à Marignane – le 26 décembre 1994
Chapitre 3.   J’avais un camarade
Chapitre 4.   Commandement des opérations de secours en situation d’émeutes
Chapitre 5.        Oublier la monstruosité
Chapitre 6.        Communiquer dans la crise
Chapitre 7.        Détenir une parcelle de la force de l’Etat, un métier complexe
Chapitre 8.         « Cet individu, on va l’arrêter proprement… 
Chapitre 9. Mon premier sauvetage 
Chapitre 10.       Le caillou dans la chaussure ou les urgences à l’épreuve du quotidien
Chapitre 11.       Sapeur pompier dans le 9.3 ou l’éthique à l’épreuve des violences urbaines
Chapitre 12.       Panique chez les sapeurs pompiers ou le leadership en situation de crise
Chapitre 13.       Quelques vertus pour rester homme d’action
Chapitre 14.       Prendre tous les risques pour un autre que soi
Chapitre 15.       Une goutte d’eau dans la mer du crime
Chapitre 16.       Etat d’urgence : pour que le soldat de crise ne devienne pas un soldat en crise
Chapitre 17.       Regard de sagesse philosophique sur la crise
 
ANNEXES
9ème Brigade Légère Blindée de Marine : ordre du jour n°21
Déclaration universelle des droits de l’homme (extrait
)Statut général des militaires (extrait)
La prière du gendarme
La prière du sapeur pompier
Seigneur, envoie-nous des fous 
Homélie du père Stan Rougier du 16 juin 1985 (extraits)
Prière du Capitaine Bourgin
 



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