Les généraux français du XX° siècle

Par Francois Cailleteau


 
 
Ce livre  devrait être publié en octobre 2010, en même temps que l'ouvrage sur les généraux commandant d'armées de la grande guerre.

L'auteur
 
Son auteur est le contrôleur général François Cailleteau, saint-cyrien, qui a servi dans l'armée de terre puis au contrôle général des armées, dont il a été le chef de 1989 à 1994, date à laquelle il a été nommé inspecteur général des finances.

Il a participé à la publication ou est l'auteur de plusieurs ouvrages: "Gagner la Grande Guerre" (Economica 2008), "Principes d'économie militaire" (Préface; Economica 2008); "Retour à l'armée de métier" (Collection de textes. Economica 1998).

Le livre

INTRODUCTION

 

Au XX° siècle, les armées françaises ont été presque continuellement engagées au combat pendant les six premières décennies. Bien sûr dans les deux guerres mondiales et les guerres d’Indochine et d’Algérie. De 1939 à 1962, c’est presque un quart de siècle de guerre ininterrompue. Mais il y a bien d’autres campagnes. Au début du siècle, la Mauritanie et le Tchad sont le lieu de nombreux combats. Au Maroc, on se bat depuis sept ans quand la Grande guerre éclate. On s’y battra d’ailleurs jusqu’en 1934 avec un paroxysme en 1925-1926 avec la guerre du Rif. Au même moment on se bat aussi au Levant contre les Druzes. En fait, de 1900 à 1962, on trouve à grand peine quelques années sans action de guerre. Après 1962, bien que la guerre froide ait duré encore un quart de siècle, les armées vivent une période plus tranquille, seulement troublée par quelques interventions d’ampleur limitée dans notre ancien empire, surtout au Tchad, avant que ne se multiplient les envois de contingents français dans des opérations internationales un peu partout dans le monde mais surtout au Moyen-Orient et dans ce qui fût la Yougoslavie. Ces contingents ne sont pas considérables, à l’exception de celui de la guerre du Golfe, les pertes sont minimes mais ce n’est plus tout à fait, pour les armées, le temps de paix que l’on avait cru durablement installé après que notre empire ait été liquidé et que l’équilibre de la terreur ait figé le théâtre européen.

 

Cette suractivité guerrière du XX° siècle justifie que l’on s’intéresse à ceux qui sont responsables de la préparation et de la conduite des armées, les généraux. L’organisation militaire a en effet défini depuis longtemps une catégorie dirigeante qui se distingue des niveaux subordonnés par le fait que ses membres ont vocation à commander ce qu’il est convenu d’appeler des grandes unités, c’est à dire des ensembles complexes rassemblant des contingents des diverses armes. On s’intéresse ici aux seuls généraux de l’armée de terre. Ce choix exclut les généraux de l’armée de l’air et les amiraux.

 

On ne devient général qu’après une assez longue carrière, en général à la cinquantaine ou peu avant. On ne le reste en moyenne que quatre à cinq ans. Quelques uns font des carrières de généraux plus longues, d’une dizaine d’années, certains, à certaines époques, allant jusqu’à vingt ans (Weygand XE "Weygand"  ou Gamelin XE "Gamelin" , par exemple). C’est donc une population qui se renouvelle assez vite et que l’on ne peut comprendre qu’en prenant en compte le fait que les généraux ont une longue histoire quand ils parviennent aux étoiles.

 

A chacune des périodes étudiées, on a d’abord essayé de dessiner une description quantitative des généraux du moment : combien sont-ils? Quel âge ont-ils? Quel a été leur cursus? On s’efforce aussi de fournir des indications sur leur milieu familial, sur leur situation matérielle, sur leurs opinions, sur leurs rapports avec la société française de leur époque et particulièrement sur ceux entretenus avec les dirigeants politiques. On évalue leurs conceptions militaires, avec les affrontements que provoquent parfois les divergences entre plusieurs écoles de pensée. On s’attache enfin aux grandes lignes de leur action militaire sachant que ce n’est pas le lieu ici de raconter des guerres déjà souvent et longuement décrites ailleurs. On espère ainsi pouvoir dresser, pour chacune des périodes, un tableau à peu près fidèle de la collectivité des généraux. Un dernier chapitre est consacré à une tentative de description synthétique des permanences et des évolutions de cette collectivité.

 

 

1900

Les généraux de 1900 constituent en définitive un groupe assez homogène où l’on constate néanmoins certains clivages. Ils sont de la même tranche d’âge. Ils viennent des mêmes écoles. Ils ont atteint un statut social qui les place en haut de l’échelle tant du point de vue du prestige que de l’aisance matérielle. Ils ont en commun le souvenir du désastre militaire de 1870 et de la guerre civile. Ils en ont tiré la volonté de refaire une armée capable d’empêcher une nouvelle défaite et de prendre sa revanche, d’où une éthique du travail qui les éloigne des errements du Second empire. Ils en ont aussi tiré une aversion des mouvements insurrectionnels (ce qui n’était pas la tradition militaire depuis la Révolution) . Leurs opinions politiques vont du légitimisme au radicalisme mais, en définitive, la très grande majorité accepte une République qui place la constitution d’une armée forte au centre de ses préoccupations. Sur le plan social, ils sont à peu près tous conservateurs, quelques uns franchement réactionnaires, jamais en faveur du bouleversement de la société. L’affaire Dreyfus XE "Dreyfus"  les pousse à droite dans la mesure où ils identifient les attaques de la gauche dreyfusarde à de l’antimilitarisme, ce qui est parfois abusif. Leurs idées religieuses sont souvent assez tièdes et lorsqu’elles sont fortes, elles ne sont pas forcément liées à une adhésion aux thèses réactionnaires. Là aussi, l’affaire Dreyfus va laisser des traces, l’antisémitisme et l’anti-maçonnisme se développant, a fortiori après l’affaire des fiches et les troubles de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ceci étant, cette évolution qui s’amorce à l’époque ne se traduit pas par une contestation active du régime, l’idée qu’on obéit au régime légal s’est fortement implantée.

 

Les divergences se rencontrent plutôt dans les types de carrière et dans les attitudes qui en découlent dans la conduite des affaires militaires. Il y a ceux qui ont beaucoup fait campagne hors de France et les autres. Il y a ceux qui ont constamment servi dans la troupe , ceux qui ont fait carrière surtout en état-major et ceux qui ont longuement servi dans des emplois techniques ou industriels. Il y a ceux qui servent souvent à Paris et ceux qui ne servent qu’en province. Il y a ceux qui écrivent sur les sujets militaires et ceux que cette activité n’intéresse pas ou même agace. Il y a ceux qui sont liés au monde politique, de tout bord, et ceux qui s’en écartent.

A partir de ces distinctions s’élaborent divers sous-groupes que nous avons rencontrés et qui font que nous avons affaire à une collectivité traversée de clivages de comportements et de doctrine en définitive plutôt vivante et dans laquelle on ne trouve pas le monolithisme souvent prêté à l’institution militaire. C’est d’autant plus vrai que le régime s’est efforcé d’empêcher qu’il existe un chef des armées tout-puissant en donnant un tour très collégial aux structures centrales et en déconcentrant fortement l’organisation militaire.

 

 

1914 ET LA GRANDE GUERRE

On peut tirer quelques conclusions de cet examen des carrières et des performances pendant la guerre. La première est que l’intervention des politiques au pouvoir au début du siècle, essentiellement radicaux, n’a pas sensiblement pesé sur la composition de l’élite militaire. D’abord parce qu’elle est modeste dans ses résultats concrets : les cas d’un avancement nettement accéléré en faveur d’un protégé sont peu nombreux. Ensuite parce que les bénéficiaires de cette faveur sont loin d’être tous médiocres : Joffre XE "Joffre" , Sarrail XE "Sarrail" , Guillaumat XE "Guillaumat"  par exemple. Enfin parce que les officiers de qualité d’opinion nettement conservatrice pour ne pas dire réactionnaire ou cléricale ne sont pas écartés de l’avancement pourvu qu’ils manifestent le loyalisme que tout gouvernement est en droit d’obtenir de ses serviteurs de haut rang. En témoignent les cas de Castelnau XE "Castelnau" , Foch XE "Foch" , Pau XE "Pau" , de Langle de Cary XE "de Langle de Cary"  ou Gouraud XE "Gouraud" . Il faut en outre être assez méfiant de l’attribution à André XE "André"  et à ses comparses de tous les retards d’avancement subis par les uns ou les autres et il est nécessaire d’y regarder de plus près. Rappelons seulement le cas de de Mitry encore colonel en 1914 et qui commandera une armée. Il a été retardé comme capitaine, avant l’affaire Dreyfus XE "Dreyfus" , sans doute parce que malgré sa brillante scolarité à l’ESG, il ne correspondait pas au modèle d’officier souhaité par son arme, la cavalerie, où l’équitation passait avant le travail d’état-major. Weygand XE "Weygand"  ne s’y est pas trompé en choisissant de ne pas se présenter à l’ESG et en servant longuement comme instructeur à Saumur ce qui lui valut avant-guerre un avancement brillant pour un officier n‘ayant pas fait campagne outre-mer, commandant à 40 ans, lieutenant-colonel à 45. Ses opinions, pourtant très tranchées et volontiers exprimées, ne lui ont aucunement nui.

La deuxième conclusion est que la guerre a validé le modèle de carrière en vigueur avant son déclenchement. Ceux qui parviennent aux responsabilités importantes pendant la guerre ont toutes les caractéristiques de ceux qui y parvenaient avant-guerre. Le conflit amène peu de révélations. Comme on l’a vu, ceux qui émergent alors que leur carrière du temps de paix avait été relativement modeste ne sont pas en général des inconnus dans l’élite militaire d’avant-guerre. Pétain XE "Pétain"  et Fayolle XE "Fayolle"  ont été longuement professeurs à l’ESG. Pétain, en particulier, bénéficiait d’un réel prestige et ne devait les déboires initiaux de sa carrière qu’à la rudesse avec laquelle il traite certains de ses supérieurs. Nivelle répondrait mieux à la notion de révélation. Il est certes breveté mais ses affectations d’avant-guerre sont assez obscures : de 1903 à 1908, le commandement des batteries en Corse, de 1908 à 1911, la direction de l’artillerie à Oran et l’emploi de chef d’état-major de l’artillerie en Algérie et, en 1911, le commandement du régiment d’artillerie avec lequel il partira à la guerre. Aucun emploi donc en dehors de son arme, aucun séjour à des niveaux importants de l’organisation militaire. Son avancement a été encore plus lent que celui de Pétain né comme lui en 1856, il n’est colonel qu’un an après lui. Son élévation au commandement en chef a surpris ses contemporains qui ne lui voyaient pas l’envergure nécessaire ni le «background »qu’il impliquait. Ils n’avaient pas tort; Nivelle a été une fausse révélation.

Même à la fin de la guerre, ceux qui sont placés à la tête de divisions à 50 ans ou moins, au nombre de 25, sont tous saint-cyriens, tous brevetés sauf deux. Beaucoup ont servi dans les états-majors parisiens ou comme attachés militaires. Beaucoup ont servi pendant la guerre dans les états-majors de très haut niveau.

Cela valide le modèle principal de carrière d’avant-guerre : passage obligé par les grandes écoles militaires, nouvelle sélection après une petite dizaine d’années de service dans la troupe pour l’entrée à l’ESG, sélection de ses meilleurs produits pour servir à l’état-major de l’armée et auprès des commandants d’armée désigné ou pour professer à l’ESG, commandement de la troupe systématique à tous les niveaux mais d’une durée limitée aux exigences statutaires. Il existe d’autres modèles, minoritaires. Celui des coloniaux, où l’on passe aussi par l’ESG mais où l’on sert surtout outre-mer dans des emplois qui mêlent le commandement des troupes à l’administration des territoires, avec beaucoup d’initiative. Celui des ingénieurs qui alternent le commandement et les emplois techniques. Celui des cavaliers, tournés vers leur arme et l’équitation. Ce dernier modèle est clairement invalidé par la guerre. Celui de l’ingénieur commence à se séparer de celui de l’officier avec l’importance nouvelle de la technique et des problèmes industriels. Celui des coloniaux perdra de son originalité avec la civilianisation des emplois d’administrateurs dans les colonies. Le modèle principal sort donc fortement renforcé de la guerre.

 

Il reste à expliquer, si la question du choix des hommes n’est pas pertinente comme nous avons essayé de le montrer, les graves déboires du début de la guerre.

Ce que nous avons dit de l’insuffisante vérification de l’aptitude des chefs de haut niveau, des défauts de l’organisation des unités de réserve, du manque de sous-officiers et de leur qualité souvent discutable, des insuffisances de l’entrainement tant dans l’active que dans les réserves donnent des clefs pour comprendre ces déboires. Mais cela n’explique pas le pourquoi de ces insuffisances. Les imputer au mauvais vouloir des décideurs politiques est trop court quand on voit que ceux-ci sont prêts à engager leur crédit à la veille d’une élection pour allonger la durée du service militaire et qu’ils accordent des crédits en forte hausse à l’armée depuis des années. La réalité est sans doute que les chefs des armées n’ont pas accordé à ces questions toute la priorité qu’elles auraient méritées, s’attachant d’abord à augmenter les effectifs d’active, ce qui sera d’ailleurs une sorte de constante au long du siècle. Faut-il y voir une séquelle de 1870 où la Prusse et ses alliés mirent sur pied des contingents très supérieurs aux nôtres? Faut-il aussi y voir une méfiance par rapport à l’utilisation des réserves que, d’ailleurs, on conforte en les sous-encadrant et les sous-entraînant, ce qui finit par justifier la réticence que l’on a à leur égard?

 Avec les errements de la doctrine et des plans, tout cela explique 1914. Mais c’est insuffisant pour la suite et surtout pour rendre compte de la terrible année 1915. L’obstination de Joffre XE "Joffre"  et de son équipe face à l’évidence de l’impossibilité de la percée décisive a sans doute été renforcée par deux considérations. D’abord la difficulté à penser le prolongement indéfini de la guerre, thème déjà présent avant-guerre, de part et d’autre d’ailleurs. Ensuite le besoin de reprendre la vaste partie de territoire national que l’on avait du céder en 1914. Cette obstination n’en est pas moins irrationnelle. Et cette irrationalité est largement partagée comme en témoigne, à côté des grandes offensives, la multiplication des attaques locales sans intérêt tactique réel, qui permettent parfois de gagner quelques centaines de mètres mais qui causent des pertes considérables. Cette difficulté à changer de paradigme est, après les erreurs de l’avant-guerre, l’essentiel de ce qui va peser sur les généraux dans l’après-guerre.

 

 

1930

Si l’on avait à résumer en une phrase la pensée et l’action des généraux de 1930, on pourrait dire que ce sont encore les généraux de 1918 et qu’ils ont, avec le soutien des gouvernements et de l’opinion, engagé l’organisation militaire française dans une voie dont elle ne saura pas sortir en temps utile.

 

Que les généraux de 1930 soient ceux de 1918 est un fait, pour beaucoup, des plus notables : Pétain XE "Pétain" , Guillaumat XE "Guillaumat" , Debeney, Degoutte XE "Degoutte" , Gouraud XE "Gouraud" , Maurin XE "Maurin" , Weygand XE "Weygand" , Gamelin XE "Gamelin" , Dufieux XE "Dufieux" , tous étaient généraux avant l’armistice. En fait, un seul membre du CSG n’est pas encore général à cette date : c’est Walch XE "Walch" , brigadier le 23 décembre 1918. En dehors du CSG, on compte encore en 1930 une quinzaine de généraux arrivés aux étoiles pendant la guerre dont cinq commandants de région, le commandant du corps d’armée de l’armée du Rhin, les commandants supérieurs au Maroc, en AOF, en Indochine.

Mais au-delà de ces cas, minoritaires mais très importants par les emplois tenus au sommet de la hiérarchie, ce qui domine c’est la persistance des idées de 1918. La prépondérance absolue du feu sur tout autre facteur conduit à sous-estimer les vertus du mouvement au moment où le progrès des techniques donne à celui-ci de nouvelles possibilités et à surestimer les processus de progression lente au rythme des plans de feu d’une artillerie elle-même assez peu mobile. Et bien sûr, ces idées sont aussi prêtées à l’ennemi, ce qui conduit à prévoir une défensive au même rythme permettant le colmatage des attaques par un emploi des réserves d’infanterie et d’artillerie. La recherche de l’évènement inattendu n’est pas à l’ordre du jour dans l’offensive mais les moyens de faire face à un tel évènement provoqué par l’ennemi ne le sont pas plus. L’ensemble de la hiérarchie est formé à ces méthodes. Il s’agit en définitive de recommencer 1918 mais en supportant mieux une attaque brusquée, d’où les fortifications permanentes modernes, puis à refouler méthodiquement l’ennemi en l’écrasant par l’artillerie et en finissant le travail de celle-ci par les chars débarrassant l’infanterie, qu’il faut préserver, de l’essentiel des résistances.

 

Cette hiérarchie qui s’est prolongée depuis douze ans va en outre engager durablement l’avenir par ses décisions comme par ses abstentions. Décisions, l’organisation générale de l’armée et la ligne Maginot. Abstentions, l’absence d’un programme sérieux de mécanisation et d’organisation de grandes unités blindées. Les décisions correspondent à la volonté de disposer d’une machine à mobiliser d’énormes effectifs, plus ou moins instruits et encadrés, mais ne pouvant fournir les moyens d’une action rapide de rétorsion avec des moyens limités mais prêts à contrecarrer une initiative allemande dans cette phase où l’adversaire est encore limité en moyens et soumis à des contraintes de déploiement. L’armée française s’organise pour faire face à la Wehrmacht future mais ne se donne pas les moyens d’empêcher sa naissance. Cette organisation justifie la ligne Maginot, d’abord nécessaire pour protéger la mobilisation. Mais ce programme va coûter cher, au moins 5 milliards dans la première moitié des années 30 et va assécher les possibilités financières de l’armée. De ce fait les sommes consacrées à la mécanisation, au demeurant pas considérée comme vraiment prioritaire, sont dérisoires, de l’ordre de 40 millions de francs par an autour de 1930, soit à peine 0, 5% du budget de l’armée. Les programmes se traînent comme celui du char B.

Mais il y a plus. C’est l’incohérence consistant à choisir une organisation et une méthode tactique et à ne pas en tirer les conséquences. Après tout, le choix d’une stricte défensive initiale puis d’une contre-offensive lente à base d’artillerie réalisait un consensus entre chefs militaires, gouvernants et opinion. Encore fallait-il aller au bout de cette logique. On souligne, dans les instances militaires, les difficultés des chars face à l’armement anti-char. C’est une des raisons avancées pour douter de l’utilité de grandes unités blindées capables d’offensive autonome. Cela devrait conduire à se doter soi-même d’un important armement anti-char pour contrer les intentions d’un ennemi que l’on suppose à juste titre fort offensif. De même pour l’armement anti-aérien. Pourtant, ces matériels sont également négligés à cette période, y compris pour leur définition.

Il faut dire que l’organisation de la définition et de l’acquisition des matériels est contre-productive. Le ministère de l’armement disparu après-guerre, on est revenu aux errements d’avant 1914, la direction de l’artillerie étant à nouveau en charge de l’étude et de la réalisation de la totalité de l’armement, y compris celui, de plus en plus important, des autres armes. Cette charge est trop lourde pour elle d’autant que les jeunes polytechniciens d’après guerre s’étant massivement détournés du métier militaire, on manque d’officiers qualifiés. Les directions de l’infanterie et de la cavalerie décident de se doter de sections techniques pour suppléer aux carences de l’artillerie, ce qui est évidemment utile, mais leur dialogue est difficile avec la direction de l’artillerie qui voit d’un mauvais œil cet empiètement sur ses prérogatives même si elle ne parvient pas à les assumer correctement. De plus, cela engendre des débats infinis sur les choix techniques. Les difficultés sont d’autant plus grandes que l’état-major de l’armée n’a pas d’autorité réelle sur ces questions, faute de disposer de compétences ad hoc. Cette situation avait été identifiée de longue date. Pétain XE "Pétain"  avait préconisé dès 1919 la création d’un service des fabrications subordonné au vice-président du CSG (c’est-à-dire à lui). Le directeur de l’artillerie, Maurin XE "Maurin" , propose en 1920 la création d’une direction générale des fabrications et d’un corps spécialisé d’ingénieurs. Ces propositions aboutissent à la rédaction d’un avant-projet de loi auquel le ministère des finances s’opposa. La question ne fut reprise qu’après 193O. Sous l’impulsion de Weygand XE "Weygand" , des structures de concertation se mettent en place en 1931 : un cabinet technique auprès du chef d’état-major général (il sera dirigé par Bloch XE "Bloch" , artilleur né en 1882, encore colonel à l’époque, brigadier en 1933) et un conseil consultatif de l’armement rassemblant toutes les parties intéressées. Ce n’est qu’en 1933 qu’est créée la direction des fabrications d’armement et en 1935 son corps d’ingénieurs.

 

Comme on le voit, tout était rassemblé pour que l’armée ne puisse pas s’opposer précocement aux premiers manquements graves de l’Allemagne à ses engagements internationaux, pour que l’on ne puisse sortir de la posture strictement défensive choisie et même pour qu’on ait les plus grandes difficultés à se doter de ce qui était nécessaire pour tenir cette posture avec un maximum de chances de succès.

 

 

LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE

A la fin de la guerre, le corps des généraux de l’armée de terre a diminué de moitié par rapport à l’avant-guerre : 164 généraux en 1947 contre 337 en 1938. Cette diminution est nettement plus forte que celle de l’effectif de l’armée qui n’a diminué que d’environ 30%. Elle traduit surtout l’effondrement de la place de l’armée et de ses chefs dans la nation.

Cet effondrement est dû à trois causes au moins.

La première et sans doute la plus décisive, c’est la défaite de 1940, attribuée à l’incompétence des généraux. Les causes réelles sont, nous l’avons vu, plus complexes : la recherche de la paix à tout prix, l’antimilitarisme répandu dans de larges secteurs de l’opinion, la politique déflationniste du début des années 30, la pratique de la conscription sacrifiant plus aux désirs de la population qu’aux besoins de l’armée, l’application absurde de la loi des 40 heures, tout cela a miné l’effort de défense. Mais les généraux ont une double responsabilité dans l’effondrement de 1940.

D’abord, les généraux, dans leur grande majorité, ont mal préparés la guerre. On ne fait pas ici le procès de la ligne Maginot ou de l’idée défensive qui a guidé cette préparation. Mais celle-ci aurait dû permettre de parer la menace nouvelle des opérations aéroterrestres à rythme rapide que les progrès des techniques, la réflexion des penseurs militaires et les premières réalisations de l’ennemi rendaient vraisemblable Cela supposait des dotations d’armes antichars et anti-aériennes que n’a pas permis de réaliser l’adoption trop tardive des modèles, non par manque de crédits pour des études et des développements en fait peu coûteux, mais parce que ces armes n’étaient pas ressenties comme prioritaires. Cela supposait aussi des moyens de contre-attaque face à une percée blindée, donc quelque chose comme les corps blindés de l’armée allemande, même en nombre plus faible. Cela a été refusé jusqu’au dernier moment par les instances les plus élevées de la hiérarchie militaire. Les arguments sur le manque de moyens pour ce faire, émis dans l’immédiat avant-guerre, ne font que confirmer les erreurs des années antérieures.

Par contre, il ne semble pas exact, bien que ce soit devenu une sorte de vérité officielle, que les généraux de l’armée aient, par un travail de sape, empêché la mise sur pied d’une armée de l’air efficace. Ce n’est pas l’armée qui a interdit à l’aviation de concevoir une politique des modèles d’avion adaptée aux besoins par un ministère de l’air autonome depuis 1928. Elle n’est pour pas grande chose dans le manque de crédits dont a souffert l’aviation. Pétain XE "Pétain"  a même proposé, au début des années 30, de reporter sur elle des crédits voulus par les politiques pour fortifier la frontière nord. Les généraux ne sont évidemment pour rien dans le désordre de l’industrie aéronautique et dans celui du ministère de l’air. Les chefs les plus éminents de l’armée de terre, Pétain surtout, ont souligné assez tôt le besoin d’un commandement interarmées que les autres armées et leurs ministres ont constamment nié au profit d’une simple coordination qui a abouti aux absurdités de l’organisation de 1939. On peut certes reprocher à Gamelin XE "Gamelin"  d’avoir accepté cette formule mais n’a-t-il pas été choisi parce qu’on le savait accommodant. Ceci étant, la légende s’est imposée et a chargé le dossier des généraux de péchés qu’ils n’avaient pas commis.

 

Mais le haut commandement est aussi responsable de la conduite des opérations. D’abord par une organisation complexe et source de lenteurs, manquant de moyens modernes de communication, qui a beaucoup aggravé les choses dès qu’il a fallu faire face à la rapidité des mouvements de l’ennemi. En négligeant de renforcer des secteurs décisifs comme la charnière entre le front fixe et le front mobile. En se privant de réserves rapidement disponibles à l’ouest du dispositif. En s’aventurant vers une bataille de rencontre que l’on avait pour principe d’éviter. En négligeant les nombreux indices d’une attaque principale ou, en tout cas, importante par les Ardennes.

 

La deuxième cause de l’abaissement des généraux à l’issue de la guerre est que c’est le plus prestigieux d’entre eux qui accepte de traiter avec l’ennemi, de retirer la France du conflit à des conditions extrêmement rigoureuses. Cela l’entraine vers une politique de collaboration qui deviendra odieuse au fur et à mesure que l’ennemi exprime de nouvelles exigences : pillage de l’économie française, envoi de main d’œuvre en Allemagne, persécution des juifs, etc. Au surplus, le gouvernement du maréchal prétend mener une politique de régénération nationale dont la consistance ne peut être que très discutable quand on se trouve sous le contrôle d’un ennemi développant une idéologie telle que le nazisme. La solidarité proclamée des généraux vis-à-vis de Pétain XE "Pétain"  va faire oublier que c’est un autre général qui incarne le refus de la défaite et de la collaboration avec l’ennemi. Il est vrai qu’il n’est pas considéré comme légitime par ses pairs. Les tentatives maladroites de Vichy de faire porter la responsabilité de la défaite aux politiques du Front populaire et à un seul général, Gamelin XE "Gamelin" , n’ont fait que renforcer l’idée que les généraux avaient des comptes à régler avec la République et qu’ils profitaient de la défaite pour le faire.

 

La troisième cause réside dans le travestissement de l’histoire qui s’est opéré très vite sur le retour de la France au combat. Ce retour est en fait très peu visible jusqu’à la fin de 1942. La France libre est squelettique et la Résistance très faible. L’entrée en résistance du parti communiste, après un an d’abstention, ne produit que peu d’effet à ce stade. Dans les premiers et rares résistants, on compte, par contre, beaucoup d’officiers mais guère de généraux. A partir de 1943, les choses changent. Les contingents français combattant aux côtés des Alliés, même s’ils restent très minoritaires, ont une action notable tant en Italie qu’en France. A l’intérieur, le rôle de l’ORA, dirigée par une bonne partie de la hiérarchie de l’armée d’armistice, est fort important en 1944, même si elle est marginalisée dans les instances dirigeantes de la Résistance. Lorsqu’on recense les actions importantes accomplies pour gêner les mouvements allemands et affaiblir leurs forces, les formations de l’ORA ont un rôle prépondérant dans de nombreuses zones. Il n’y a certainement aucun corps de l’Etat dont la participation à la résistance n’ait été aussi importante : plus de vingt généraux saint-cyriens ont été déportés dont les deux-tiers ne sont pas revenus. Mais, dans la France quasi unanimement résistance que s’est très vite constituée la mémoire collective, ces engagements ont été banalisés et marginalisés.

 

 

Fondé ou non, le discrédit des généraux est une donnée de l’après-guerre. Les rares d’entre eux qui y échappent sont ceux qui ont constitué leur légende sur une rupture avec leur milieu, particulièrement de Gaulle XE "de Gaulle"  et Leclerc. Cette donnée va peser très lourd tout au long de la IV° République.

 

 

L’INDOCHINE ET LE DEBUT DE LA GUERRE FROIDE

 

La période 1949-1954 est paradoxale pour les généraux. Leur effectif a été très réduit, même s’il augmente un peu durant ces années. Ils ont été mal traités du point de vue de leur situation matérielle. Une fraction minoritaire d’entre eux est engagée dans le conflit indochinois que tous savent perdu d’avance parce que la recherche d’un succès est très au-delà des possibilités françaises. Mais l’on poursuit le combat jusqu’à ce qu’une défaite éclatante, évidemment mise au débit de quelques généraux, oblige à prendre la décision d’en finir. Ils sont aussi engagés, parfois dans des fonctions dépassant le cadre militaire, dans la décolonisation en Afrique, là aussi plus subie que décidée. Juin XE "Juin" , le plus illustre d’entre eux, conduit les choses au Maroc en menant une politique qui lui est largement propre et qui va échouer. Les généraux sont aussi mêlés de près aux querelles liées au réarmement de l’Allemagne. Ils s’engagent majoritairement contre la CED, subterfuge imaginé pour faire admettre à l’opinion ce réarmement. Ils n’hésitent pas dans cette affaire à faire une campagne public et ils obtiennent satisfaction : réarmement de l’Allemagne sans que l’armée française ait à se fondre dans un ensemble communautaire.

Ils tiennent donc dans cette période un rôle fort important, allant au-delà de leurs seules responsabilités militaires. Ce rôle les amène souvent à s’opposer aux responsables politiques dont l’action est constamment entravée par la fragilité des majorités parlementaires. Le contentieux s’alourdit au point que les conditions d’une crise sont désormais rassemblées, qui éclatera à l’occasion de la prochaine épreuve, la guerre d’Algérie.

 

 

LA GUERRE D’ALGERIE

La guerre d’Algérie est, pour la France, le dernier épisode militaire important du XXème siècle. Elle est aussi le moment où la collectivité des généraux joue le plus grand rôle politique comme acteur déterminant du changement de régime. Mais le nouveau régime ne tolèrera pas les habitudes permises par la faiblesse du précédent, ce qui amènera à la période de trouble de 1960-1961.

 

Une partie de l’historiographie de la guerre d’Algérie tend à présenter les généraux comme des acteurs secondaires de ce conflit, plus ou moins manipulés par un groupe de colonels, vrais détenteurs du pouvoir militaire. Cette présentation parait fallacieuse. Certes, dans une guerre où la plupart des affrontements importants n’opposent en général que de faibles effectifs, typiquement une compagnie du FLN contre un gros bataillon français, un colonel peut mettre au point une tactique nouvelle de combat, peut obtenir de son unité des résultats très au dessus de la moyenne et acquérir de ce fait une notoriété importante et méritée. Mais ni ce colonel ni même l’ensemble des colonels de même envergure n‘ont déterminé le sort de la guerre. Les généraux sont responsables de l’essentiel : de l’engluement dans le quadrillage, comme des opérations qui ont balayé d’ouest en est les forces rebelles jusqu’à leur extrême affaiblissement, de la réalisation des barrages comme des retards à les mettre en place, de la création des SAS ou des commandos de chasse comme de celle des DOP.

Par contre un groupe de colonels a développé, avec une liberté regrettable, des doctrines et surtout des pratiques autour d’une expérience mal digérée de la guerre révolutionnaire qui a causé de graves dégâts. Ce groupe a œuvré surtout à Alger où, sans que ses membres y aient sans doute pris garde, il est devenu la caution militaire des activistes, dont la seule idée était de préserver l’ordre colonial que récusait d’ailleurs la majorité des responsables militaires. Ce groupe a permis les barricades de 1960 et organisé le putsch de 1961. L’erreur de certains généraux, dont le commandant en chef, a été de tolérer l’existence de ce groupe et de ses activités. Il y a eu un phénomène algérois où les responsables militaires ont été empêchés de voir les réalités par le fait qu’ils baignaient dans un climat à la fois chaleureux et surexcité où ils ont perdu la distance nécessaire aux chefs. Challe, mais aussi Crépin, en sont les exemples frappants.

 

Mais l’erreur capitale du haut commandement en Algérie est ailleurs. C’est d’avoir à la fois accepté et voulu la transformation de l’Algérie en province militaire où, non seulement le pouvoir lui était transféré au sommet mais où l’exercice de celui-ci a été militarisé dans tous les domaines, y compris ceux où l’armée avait tout à perdre. Cela a amené les militaires à faire un «sale boulot », c’est une expression qu’ils ont souvent employée, parce qu’ils ont cru que c’était leur devoir de le faire. Cela les a aussi conduits à donner aux populations des assurances sur l’avenir au-delà de ce qu’il était possible de garantir, avec tous les drames qui s’en sont suivi à la fin de la guerre, en particulier pour les musulmans que l’on avait convaincus de soutenir la cause française les armes à la main.

Il y a, nous semble-t-il, trois causes à cet engagement de l’armée au-delà de ses compétences. La première, la plus souvent évoquée, parait à la fois réelle et seconde. C’est celle qui veut qu’après la défaite en Indochine, il n’était plus acceptable de reculer encore, que la France et même l’Europe jouaient leur existence en Afrique du nord face à un nationalisme de façade, instrument de la poussée soviétique. Certes, l’idée est prèsente, on l’a vu, mais il y a bien des signes aussi que le haut commandement a pris conscience de ce qu’une grande partie du problème algérien est ailleurs, dans le sort misérable fait à la population musulmane et dans l’apparition du sentiment de son identité algérienne. Les réflexions et les propositions d’Ely en 1957 montrent bien que tout le commandement, et au plus haut niveau, ne se satisfait pas de l’explication moniste attribuant la guerre aux efforts du KGB.

La deuxième cause réside dans l’attitude des responsables politiques. Dans un régime parlementaire où un quart des élus, les communistes, sont exclus (ou s’excluent) des combinaisons gouvernementales, où une autre partie, ceux des gaullistes dont l’archétype est Debré, mène sur les questions touchant à l’Union française une surenchère violente, où plus d’un dixième des députés, les poujadistes, sont des élus de hasard avec des slogans pour doctrine, où, enfin, un groupe de plusieurs dizaines de députés représentant les seuls européens d’Algérie - les musulmans n’étant pratiquement pas représentés - beaucoup moins que les populations de l’Afrique noire, il n’existait pas de majorité pour une politique réaliste qui exigeait des changements dérangeants pour les européens d’Algérie et des négociations avec ceux qui, les armes à la main, voulaient ces changements. Faute de cela, il a été commode aux gouvernants de satisfaire assez vite aux demandes du commandement en termes d’effectifs, de moyens et de pouvoirs, et de transférer à l’armée les tâches que l’administration civile remplissait mal et dont elle n’a pas toujours été fâchée de se débarrasser. L’exemple extrême est celui du maintien de l’ordre à Alger en 1957.

La dernière cause, peut-être la plus lourde de conséquences, c’est l’éloignement des chefs de l’armée de la réalité française. Depuis 1940, beaucoup de responsables militaires ont peu servi en France. Le cas de Salan est à, cet égard, exemplaire, qui ne sert pratiquement pas en France sinon pour la campagne contre l’Allemagne en 1944. Mais même quand ils sont peu sortis du territoire métropolitain, leur activité est toute entière tournée vers d’autres réalités. Ely, parfois jugé par ses camarades comme trop métropolitain, a passé tout l’après-guerre , de 1945 à 1955, à des tâches internationales ou coloniales. Il a servi dans un état-major de l’alliance aux Etats-Unis, il a été absorbé plusieurs années par la CED, à des négociations avec les alliés et à des tractations ésotériques avec les groupes politiques, il est allé en Indochine liquider la guerre perdue avec l’adversaire, Diem et les Américains. Les cas de Salan et d’Ely n’ont d’exceptionnel que le niveau des responsabilités. C’est le gros des généraux qui se trouvent hors de France ou dans des états-majors interalliés et sont donc coupés des réalités du pays et de ses aspirations. Pour les généraux, la réalité c’est la menace soviétique, la guerre d’Indochine, les troubles du Maroc et de la Tunisie, la guerre d’Algérie. Pour les Français, la réalité c’est la reconstruction du pays, c’est son expansion économique, c’est sa nouvelle dynamique démographique, c’est un formidable déplacement des campagnes vers les villes en même temps qu’une révolution de la productivité agricole, c’est l’accès à de nouveaux biens, c’est l’instauration de la sécurité sociale. Entre le début et la fin de la guerre d’Algérie, le PIB augmente de près de moitié, les immatriculations de voitures sont multipliées par trois, la mortalité infantile diminue de plus d’un tiers. Cette mutation ne s’est pas accomplie sans troubles, grèves, mouvements protestataires qui accaparent l’attention des Français. Dans ce contexte, leur indifférence aux problèmes impériaux est totale. On l’a vu pour l’Indochine, et les militaires l’ont douloureusement ressenti. Et malgré l’envoi du contingent en Algérie, l’indifférence demeure. On imagine mal aujourd’hui, où un accrochage en Afghanistan se traduit par des heures de programmes télévisés, à quel point la guerre d’Algérie est peu traitée dans les medias. Deux exemples pris dans l’Express de l’époque, journal pourtant très engagé sur les affaires d’Afrique du nord. Les massacres et les représailles d’août 1955 dans le Constantinois : une demie colonne, moins de 1% du journal. La bataille d’Alger en janvier 1957 : quelques lignes le 11 janvier (mais c’est Faure et son complot qui a droit à la couverture) , une page sur 32 le 18 et ainsi de suite. Mais, au fur et à mesure que la guerre dure, le scepticisme gagne en France sur l’utilité du combat. L’écart entre l’engagement des responsables militaires et le désengagement des Français s’accroît progressivement. Il en va de même dans les relations entre le haut commandement et la haute administration. Il y a d’abord une différence d’âge due notamment au fait que la haute administration a été fortement renouvelée après la Libération, ce qui a permis des carrières très rapides : Messmer a 17 ans de moins que Salan par exemple. Et ses préoccupations ont changé : ce qui l’intéresse sont d’abord les questions économiques et la construction de l’Europe. Les restes de l’empire sont une charge et pas une chance. Les analyses de Raymond Aron sont certainement convaincantes pour cette haute administration qui, au demeurant, ne cherche pas particulièrement des responsabilités dans des affaires algériennes, jugées à la fois marginales et porteuses d’ennuis.

Tout a donc été réuni pour que les responsables militaires s’isolent dans le traitement doublement exclusif du problème algérien : ils ne s’occupent que de cela et ils sont les seuls à le faire concrètement. D’où la difficulté qu’ils éprouveront à s’adapter à la nouvelle politique choisie par de Gaulle XE "de Gaulle" , d’autant que ce n’est pas la politique que les gaullistes comme Debré ou Soustelle leur avaient «vendu »au moment du 13 mai.

 

LA PAIX RETROUVEE

Le dernier tiers du siècle voit donc des généraux de l’armée de terre provenant désormais d’une unique voie, celle de Saint-Cyr. L’écoulement du temps fait que la totalité de leur carrière s’est effectuée en temps de paix, leur expérience de l’emploi de la force armée se limitant à des opérations extérieures où celui-ci est, en général, très limité. La place des généraux dans la société française est devenue plus marginale. Ils ne gèrent qu’une part beaucoup plus faible de la richesse nationale et leur activité, surtout tournée vers les opérations extérieures, ne constitue pas une préoccupation majeure de leurs concitoyens. Pour autant, la suppression de la conscription les a débarrassés de la principale cause de friction avec la société française, et l’expérience des opérations extérieures a montré aux responsables politiques que, si les armées sont un moyen de la politique, leur efficacité suppose que ses chefs soient associés de plus près à la décision de leur emploi et soient responsables de la conduite de celui-ci.

 


 





Créer un site
Créer un site